11

 

Ilia Volyova était plantée au cœur du Spleen de l’Infini, à l’épicentre de la chose qui avait jadis été son capitaine et qui, dans une autre vie, s’était appelée John Armstrong Brannigan. Elle ne tremblait pas, et même cela lui parut bizarre. Les visites au capitaine n’étaient pas une partie de plaisir. Elles se déroulaient dans des conditions extrêmement pénibles qui leur conféraient un aspect punitif, comme un pèlerinage. Lorsqu’elle ne venait pas voir le capitaine pour mesurer le rythme de sa croissance – qui pouvait être ralentie, mais non interrompue –, c’était pour requérir son avis sur un sujet ou un autre. Il paraissait juste et équilibré que l’échange s’accompagnât d’une part de souffrance, même si l’avis du capitaine n’avait pas toujours été absolument pertinent, ni même seulement sagace.

Ils le conservaient au froid pour stopper la progression de la Pourriture Fondante. Pendant un temps, ils avaient réussi à le garder dans un caisson de cryosomnie, mais sa croissance inexorable avait fini par contaminer le caisson lui-même, dévoyant et incorporant le système dans son processus de bourgeonnement. Le caisson avait continué à fonctionner pendant un moment, et puis il s’était révélé nécessaire de plonger toute la zone en cryogénie. Les visites au capitaine exigeaient un laborieux harnachement, un empilement de vêtements thermiques. Et pour compléter le tableau, à chaque inspiration dans ce royaume d’un froid mortel, Volyova avait l’impression que ses poumons allaient éclater en un million d’échardes de verre. Elle fumait à la chaîne pendant ces visites. Cela dit, elles lui étaient moins pénibles qu’à bien d’autres. Elle n’avait pas d’implants internes, rien qui puisse être contaminé par la peste. Les autres – qui étaient tous morts, à présent – considéraient que c’était de la pétoche et de la pusillanimité de sa part ; mais elle lisait l’envie dans leurs yeux quand ils étaient obligés de passer un certain temps dans les parages du capitaine. Ensuite, ne serait-ce que pendant quelques minutes, ils regrettaient de ne pas être comme elle. Désespérément.

Sajaki, Hegazi, Sudjic… c’est à peine si elle se souvenait de leurs noms. Ça paraissait si loin…

Maintenant, il ne faisait pas plus froid que partout ailleurs dans le vaisseau, et même beaucoup moins que dans certains endroits. L’air était calme et humide. Toutes les surfaces étaient recouvertes d’un film scintillant. La condensation ruisselait sur les murs, cascadant sur les éléments en saillie. De temps en temps, le vaisseau excrétait, dans une éructation obscène, des glaires nauséabondes qui jaillissaient d’une cavité et stagnaient sur le sol. Il y avait longtemps que les mécanismes de recyclage biochimique du vaisseau avaient échappé à tout contrôle. Au lieu de cesser de fonctionner, ils avaient follement évolué, se parant de fioritures et autres boucles de rétroaction sauvages. Empêcher le vaisseau de s’engluer dans ses propres sécrétions était un combat épuisant, de tous les instants. Volyova avait installé des milliers de pompes pour renvoyer la morve dans des cuves de retraitement où elle pouvait être décomposée par des agents chimiques rudimentaires, et le bourdonnement des pompes à mucus accompagnait chaque pensée, telle une note organique infiniment prolongée, unique, omniprésente. Elle avait simplement cessé de le remarquer.

Quand on savait où regarder, et que l’on avait le pouvoir de résolution nécessaire pour distinguer des schémas dans le chaos, on arrivait à deviner où se trouvait naguère le caisson de cryosomnie. Quand elle avait provoqué le réchauffement du capitaine – elle avait envoyé une salve de fléchettes dans le panneau de commande du caisson –, il s’était mis à envahir le vaisseau à un rythme accéléré, le décomposant atome après atome pour l’intégrer à sa propre substance. La soute était devenue une véritable fournaise. Elle n’avait pas attendu de voir l’effet qu’auraient les transformations, mais il semblait assez clair que le capitaine ne s’arrêterait pas avant d’avoir absorbé la majeure partie du vaisseau. Aussi horrifique que cette perspective ait pu paraître, cela valait mieux que d’abandonner le Spleen de l’Infini aux commandes d’un autre monstre : le Voleur de Soleil, une intelligence parasitaire qui avait envahi le vaisseau. Elle espérait que le capitaine réussirait à lui disputer une partie du pouvoir.

Elle avait eu une vision prophétique de la situation. Le capitaine avait fini par prendre possession de tout le vaisseau, le ployant à son caprice fébrile. Ce cas particulier d’infestation par la peste avait quelque chose d’unique. Pour ce qu’en savait Volyova, il n’y avait qu’une souche de Pourriture Fondante, et la contamination qui avait atteint le vaisseau était de la même espèce que celle qui avait fait tant de dégâts dans le système de Yellowstone, comme partout ailleurs. Elle avait vu des images de Chasm City après la peste, elle avait vu l’architecture convulsée, grotesque, de la ville, qui évoquait un rêve pervers d’elle-même. Même si ces transformations semblaient receler quelque chose qui ressemblait à un but, ou même à de l’art, on ne pouvait pas dire qu’il y avait une véritable intelligence derrière tout ça. Les formes que les bâtiments avaient prises étaient dictées par des principes de biodesign sous-jacents. Mais ce qui était arrivé sur le Spleen était différent. La peste avait habité le capitaine pendant de longues années avant de le reconfigurer. Et si une forme de symbiose s’était produite, et si, lorsque la peste avait échappé à tout contrôle, engloutissant et modifiant le vaisseau, les transformations n’avaient été, en un certain sens, que l’expression du subconscient du capitaine ?

C’est ce qu’elle commençait à se dire, tout en espérant que ce n’était pas le cas. Parce que, de quelque façon qu’on envisage les choses, le vaisseau était devenu monstrueux. Quand Khouri était venue de Resurgam, Volyova s’était efforcée de considérer les transformations d’un air blasé, mais ce numéro était destiné autant à elle-même qu’à Khouri. Le vaisseau la mettait mal à l’aise à de nombreux niveaux. Peu avant de provoquer son réchauffement, elle était parvenue à une sorte de compréhension des crimes du capitaine, elle avait eu un aperçu fluctuant du noyau de haine et de culpabilité qu’était son esprit. Maintenant, c’était comme si cet esprit s’était immensément étendu au point qu’elle pouvait s’y déplacer. Le capitaine était devenu le vaisseau. Le vaisseau avait hérité de ses crimes et était devenu un monument à sa propre vilenie.

Elle étudia les contours qui marquaient l’emplacement du caisson. Aux derniers stades de la maladie du capitaine, l’unité de cryosomnie, poussée contre une paroi, avait commencé à étendre des pseudopodes argentés dans toutes les directions. On pouvait les remonter à travers les parois fracturées du caisson jusqu’au capitaine lui-même, jusqu’à son système nerveux central avec lequel ils fusionnaient en profondeur. Ces palpes sensoriels avaient envahi à présent tout le vaisseau, louvoyant, se ramifiant et se reconnectant comme les immenses axones d’un calmar géant. En plusieurs dizaines d’endroits, les palpes argentés se rejoignaient, formant ce que Volyova en était arrivée à considérer comme des centres de traitement ganglionnaires majeurs, des amas d’une complexité fantastique. L’ancien corps du capitaine n’était plus visible, mais son intelligence, distendue, diffuse, spectrale, habitait encore indubitablement le vaisseau. Volyova n’avait pas décidé si ces noyaux étaient des cerveaux fractionnés ou simplement les petits composants d’un intellect beaucoup plus vaste, à l’échelle du vaisseau. Tout ce dont elle était sûre, c’était que John Brannigan était toujours là.

À un moment donné, alors qu’elle était en perdition autour de Hadès et qu’elle pensait que Khouri était morte, elle avait bien cru que le Spleen allait l’exécuter. C’est là qu’elle avait réchauffé le capitaine ; elle lui avait dit qu’elle avait découvert ses crimes, lui donnant toutes les raisons de l’éliminer elle.

Mais il l’avait épargnée, puis sauvée. Il l’avait laissée remonter à bord, alors qu’il était en cours de métamorphose. Il avait ignoré toutes ses tentatives de communication ; il lui avait seulement permis de survivre. Il y avait des poches où ses transformations étaient moins radicales, et elle s’était rendu compte qu’elle pouvait y vivre. Elle avait même découvert que ces poches pouvaient se déplacer, si elle décidait d’occuper une autre partie du vaisseau. Brannigan, ou celui qui dirigeait le vaisseau, savait donc qu’elle était à bord, et de quoi elle avait besoin pour rester en vie. Plus tard, quand elle avait retrouvé Khouri, le vaisseau l’avait également laissée pénétrer à son bord.

C’était comme de vivre dans une maison hantée par un esprit protecteur. Le vaisseau satisfaisait tous leurs besoins, dans les limites du possible. Mais il refusait de céder la moindre parcelle de son pouvoir. Il refusait de se déplacer, sauf pour effectuer de brefs vols dans le système. Il leur refusait l’accès à ses armes, à commencer par ses armes secrètes.

Toutes les tentatives de communication de Volyova étaient demeurées infructueuses. Elle avait beau parler au vaisseau, il ne se passait rien. Ses messages visuels ne recevaient pas de réponse. Et pourtant, elle restait convaincue que le vaisseau était attentif. Il était devenu catatonique, enfermé dans un abysse privé de remords et de récriminations.

Le vaisseau se méprisait.

Et puis Khouri était retournée sur Resurgam infiltrer le palais de l’Inquisition et envoyer tout le monde, sur cette satanée planète, sur de fausses pistes, afin qu’elles puissent, Volyova et elle, se déplacer comme bon leur semblait sans être inquiétées.

Ces premiers mois de solitude avaient été éprouvants, même pour Ilia Volyova. Ils l’avaient amenée à la conclusion qu’elle appréciait la compagnie humaine, tout compte fait. La solitude absolue – en dehors d’un esprit morne, silencieux, haineux – avait failli la pousser à la folie.

Et puis le vaisseau avait commencé, à sa façon, personnelle, subtile, à lui répondre. Au début, c’est à peine si elle s’en était aperçue. Elle n’allait pas rester les bras croisés à attendre que le vaisseau effectue ses gestes maladroits de conciliation. Elle avait cent choses à faire, tous les jours, entre les invasions de rats, qui étaient devenus fous, les pannes des pompes à mucus, le processus continuel de décontamination des zones critiques, et la peste, contre laquelle elle menait un combat incessant, faisant feu de tout bois : les nano-agents, les réfrigérants, les bombes chimiques.

C’est alors que les droïdes avaient commencé à se comporter bizarrement. Comme les rats, ils avaient jadis fait partie de l’infrastructure de réparation et de reconfiguration du vaisseau. Les plus futés avaient été contaminés par la peste, mais les plus anciens, plus stupides, avaient résisté. Ils continuaient à effectuer les tâches pour lesquelles ils avaient été conçus, à peine conscients que le vaisseau avait changé autour d’eux. S’ils n’aidaient guère Volyova, ils ne lui mettaient pas non plus de bâtons dans les roues, alors elle les avait laissés faire. Ils lui étaient même parfois utiles, mais c’était tellement exceptionnel qu’elle avait depuis longtemps cessé de compter sur eux.

Les droïdes, donc, s’étaient mis à l’aider. Ça avait commencé par une banale histoire de panne. Elle avait détecté l’avarie d’une pompe à mucus et était descendue dans les profondeurs du vaisseau pour inspecter le problème. Elle avait alors constaté, à sa grande surprise, qu’un droïde l’attendait, muni de presque tous les outils dont elle avait justement besoin pour réparer le mécanisme.

Sa priorité absolue avait été de remettre la pompe en marche. Quand la fuite avait été réparée, elle avait pris le temps de réfléchir. Le vaisseau était exactement comme quand elle s’était réveillée. Les coursives étaient toujours les mêmes trachées pleines de bave. Des substances immondes suintaient et coulaient par tous les trous du bâtiment. Ça puait toujours autant, et à l’arrière-plan de chacune de ses pensées il y avait le sempiternel chant grégorien de ces foutues pompes à mucus.

Et pourtant, quelque chose avait changé, c’était indéniable.

Elle avait remis les outils à leur place sur les divers supports du droïde. Sa tâche achevée, la machine était repartie sans demander son reste et avait disparu à un détour de coursive.

« Je pense que vous m’entendez, avait-elle dit tout haut. Vous m’entendez et vous me voyez. Vous savez aussi que je ne suis pas là pour vous nuire. Vous auriez déjà pu me tuer, John, surtout si vous contrôlez les droïdes – parce que c’est ce que vous faites, n’est-ce pas ? »

Elle ne s’était pas étonnée de ne recevoir aucune réponse. Mais elle avait insisté.

« Vous vous souvenez de moi, évidemment. C’est moi qui vous ai réchauffé. J’avais deviné votre crime. Vous avez peut-être cru que je faisais ça pour vous punir. Grossière erreur ! Ce n’est pas mon style. Le sadisme m’ennuie. Si j’avais voulu vous punir, je vous aurais détruit. J’aurais pu y arriver d’un millier de façons. Mais ce n’était pas ce que j’avais en tête. Je voudrais simplement vous dire ceci : à mon avis, vous avez assez souffert. Parce que vous avez souffert, hein ? »

Elle avait écouté le bourdonnement musical de la pompe, se réjouissant qu’elle ne retombe pas immédiatement en panne.

« Enfin, vous ne l’auriez pas volé, poursuivit-elle. Après ce que vous avez fait, vous n’auriez pas volé de faire un petit séjour en enfer. Et c’est peut-être ce qui vous arrive. Vous êtes le seul à savoir ce que ça peut faire de vivre comme ça, pendant si longtemps. Vous serez à jamais le seul à savoir si l’état dans lequel vous êtes actuellement constitue un enfer ou une amélioration. »

À ce moment-là, il y avait eu une rumeur lointaine ; elle avait senti le sol vibrer. Elle s’était demandé si ce n’était qu’une opération de pompage qui s’amorçait quelque part dans le bâtiment, ou si c’était le capitaine qui commentait sa remarque.

« Ça va mieux, maintenant, hein ? Forcément. Vous êtes sauvé, à présent, et vous êtes devenu l’esprit du vaisseau que vous commandiez autrefois. Existe-t-il un plus beau rêve pour un capitaine ? »

Il n’y avait pas eu de réponse. Elle avait attendu plusieurs minutes, espérant un autre grondement sismique ou n’importe quel signal tout aussi indéchiffrable. Mais il ne s’était rien produit.

« Euh… pour le droïde, avait-elle poursuivi, merci. Ça m’a bien aidée. »

Le vaisseau n’avait pas répondu.

Mais, depuis, les droïdes étaient toujours présents pour l’aider chaque fois que c’était possible. Quand ses intentions étaient prévisibles, les machines s’empressaient de lui apporter les outils ou le matériel dont elle avait besoin. Si la tâche se prolongeait, un droïde lui apportait même des vivres et de la boisson trouvés dans l’une des infirmeries encore opérationnelles. Si elle demandait directement au vaisseau de lui fournir quelque chose, ça ne marchait jamais. Mais si elle énonçait ses besoins à haute voix, comme si elle parlait toute seule, alors le vaisseau semblait tout disposé à lui complaire. Il n’y parvenait pas toujours, mais elle avait la nette impression qu’il faisait de son mieux.

Elle se demanda si elle ne se trompait pas, si c’était bien John Brannigan qui la hantait, et pas une intelligence au ras des pâquerettes. Peut-être le vaisseau se démenait-il pour la servir parce que son esprit n’était pas plus complexe que celui d’un droïde, parce qu’il avait été contaminé par les mêmes routines d’obéissance. Et si, quand elle adressait ses pensées directement à Brannigan, quand elle lui parlait comme s’il l’écoutait, elle voyait de l’intelligence là où il n’y en avait guère ?

C’est alors que les cigarettes avaient commencé à apparaître.

Elle n’avait rien demandé ; elle n’imaginait même pas qu’il puisse encore y en avoir sur le vaisseau, à présent qu’elle avait épuisé sa réserve personnelle. Elle les avait examinées avec curiosité et méfiance. On aurait dit celles que fabriquaient ces comptoirs commerciaux avec lesquels le vaisseau faisait du négoce des dizaines d’années auparavant. Elles ne semblaient pas avoir été faites par le vaisseau lui-même, à partir de matières premières locales. Elles sentaient trop bon pour ça. Elle en avait allumé une et l’avait fumée jusqu’au mégot, et elle avait également trop bon goût. Elle en avait aussitôt fumé une autre – tout aussi bonne.

« Au nom du ciel, où les avez-vous trouvées ? » avait-elle demandé.

Elle avait inspiré profondément, se remplissant les poumons pour la première fois depuis des semaines avec autre chose que l’air pourri qu’on respirait partout à bord.

« Bah, peu importe. Je n’ai pas besoin de le savoir. Enfin, je vous suis vraiment reconnaissante. »

À partir de là, il n’y avait plus eu de doute dans son esprit : Brannigan était de son côté. Seul un autre membre de l’équipage pouvait savoir qu’elle fumait. Aucune machine, si profondément inscrit que puisse être en elle l’instinct de servitude, n’aurait pensé à lui apporter une offrande de cette espèce. Le vaisseau avait envie de fumer le calumet de la paix.

Les progrès avaient été lents. Plus d’une fois, après cela, le vaisseau s’était replié dans sa coquille, les droïdes s’étaient fermés et avaient refusé de l’aider pendant des journées d’affilée. Ça se produisait généralement quand elle parlait trop directement au capitaine, quand elle essayait de le faire sortir de son silence avec sa psychologie de bazar. Elle n’était pas très douée pour ça, se disait-elle avec amertume. Cet horrible merdier avait commencé quand ses expériences avaient fait perdre les pédales à Nagorny, son officier de tir. Sans ça, elle n’aurait pas eu besoin de recruter Khouri, et tout aurait pu se passer autrement…

Ensuite, quand la vie à bord retrouvait une certaine normalité et que les droïdes recommençaient à faire ce qu’elle attendait d’eux, elle prenait bien garde à ses paroles et à ses actes. Elle laissait passer des semaines sans refaire la moindre tentative de communication. Mais elle finissait toujours par réessayer, lentement, montant en puissance jusqu’à l’épisode catatonique suivant. Elle insistait parce qu’elle avait l’impression de progresser chaque fois, à petits pas mais sensiblement, entre chaque crise.

La dernière s’était produite six semaines après la visite de Khouri. L’état catatonique s’était prolongé huit semaines, ce qui était sans précédent. Et elle en avait attendu dix autres avant de prendre le risque de provoquer une nouvelle crise.

— Capitaine… écoutez-moi, dit-elle. J’ai essayé à de nombreuses reprises d’entrer en contact avec vous, et je pense y être arrivée une ou deux fois. Il me semble que vous avez alors eu pleinement conscience de ce que je disais. Mais vous n’étiez pas disposé à répondre. Je comprends ; vraiment, je vous assure, je comprends. Mais il y a une chose dont je dois à présent vous parler. Une chose qui concerne l’espace extérieur, une chose qui se passe ailleurs, dans ce système.

Elle était debout dans la vaste sphère de la passerelle et parlait tout haut, d’une voix légèrement plus forte que ne l’aurait normalement exigé la conversation. Elle aurait sans doute pu délivrer son message n’importe où dans le vaisseau, il l’aurait entendu. Mais ici, dans ce qui avait été jadis le cœur du commandement, le soliloque paraissait légèrement moins absurde. L’acoustique de l’endroit conférait à sa voix une résonance qu’elle trouvait agréable. Et puis elle gesticulait de façon théâtrale avec le mégot d’une cigarette.

— Peut-être, poursuivit-elle, en avez-vous déjà conscience. Je sais que vous avez des connexions synaptiques avec les capteurs et les caméras de la coque. Ce que j’ignore, c’est ce que vous arrivez à déduire de ces flux de données. Après tout, vous n’avez pas été conçu pour ça. Ça doit faire drôle, même pour vous, de voir l’univers par l’intermédiaire des yeux et des oreilles d’une machine de quatre kilomètres de long. Enfin, vous avez toujours été sacrément adaptable. Je suis sûre que vous finirez bien par en tirer quelque chose.

Le capitaine ne répondit pas. Mais le vaisseau n’avait pas plongé immédiatement en catatonie. Selon le moniteur de son bloc-poignet, l’activité des droïdes dans le vaisseau se poursuivait normalement.

— Bon, je vais partir du principe que vous ne connaissez pas encore les machines, en dehors de ce que vous avez pu saisir lors de la dernière visite de Khouri. Quel genre de machines ? me demanderez-vous. Des machines non humaines, voilà. Nous ne savons pas d’où elles viennent. Tout ce que nous savons, c’est qu’elles sont ici, en ce moment même, dans le système de Delta Pavonis. Nous pensons que c’est Sylveste – vous vous souvenez de lui ? – qui a dû les attirer ici par inadvertance quand il est entré dans l’artefact en orbite autour de Hadès.

Bien sûr que le capitaine se souvenait de Sylveste – enfin, à condition qu’il ait conservé le moindre souvenir de son existence antérieure –, car c’est à Sylveste qu’ils avaient fait appel pour le soigner. Mais Sylveste les avait menés en bateau. Il avait des vues sur Hadès depuis le début.

— Évidemment, ce ne sont que des spéculations, poursuivit-elle, mais ça paraît coller avec les faits. Khouri en connaissait un rayon sur ces machines, plus que moi. Seulement, la façon dont elle a appris ce qu’elle sait l’empêche d’en parler facilement. Nous sommes dans le brouillard à bien des égards.

Elle mit le capitaine au courant des événements, faisant défiler les images sur la sphère de la passerelle. Elle lui expliqua comment les essaims de machines inhibitrices avaient commencé à désagréger trois petits mondes, extrayant leur noyau et retraitant les matières premières ainsi obtenues dans des ceintures orbitales de matière hautement raffinée.

— C’est impressionnant, dit-elle. Mais ce n’est pas si éloigné de nos propres capacités pour que je tremble dans mes bottes. Pas encore. Non, ce qui m’ennuie, c’est ce qu’ils ont en tête pour la suite.

Les opérations d’extraction s’étaient arrêtées net deux semaines auparavant. Les volcans artificiels insérés à l’équateur des trois mondes avaient cessé de vomir de la matière, abandonnant un arc brisé de matière transformée.

À ce moment-là, la moitié au moins de la masse de chaque monde avait été entreposée en orbite. Il n’en restait plus que des coques évidées. Volyova les regarda avec fascination s’effondrer, une fois le forage achevé, se contracter en boules orange, compactes, de résidus radioactifs. Certaines machines se détachaient de la surface, mais beaucoup semblaient avoir atteint leur but et n’étaient pas recyclées. Ce gâchis apparent glaçait les sangs de Volyova. Elle ne pouvait s’empêcher de penser que les machines se souciaient peu de l’effort qu’elles avaient fourni lors des cycles de réplication antérieurs. C’était comme si ça n’avait aucune importance au regard de la tâche qui les attendait.

Et pourtant, il restait des millions de ces petites machines. La gravité à l’intérieur des anneaux de débris était appréciable, et requérait une canalisation constante. Des espèces de processeurs divers et variés naviguaient dans les canaux de matière, l’ingérant et l’excrétant. Volyova détectait occasionnellement un dégagement de radiations exotiques dans les parages du chantier. Des mécanismes alchimiques terrifiants étaient à l’œuvre. La matière brute des mondes était transformée en de nouvelles formes spécialisées, rares, des types de matière qui n’existaient tout simplement pas dans la nature.

Mais avant même que les volcans ne cessent de recracher de la terre, un nouveau processus s’était amorcé. Un flux de matière s’était détaché de l’espace environnant chaque monde, un filament de matière transformée qui s’étirait en une langue de plusieurs secondes-lumière de longueur. Les machines canalisatrices avaient manifestement injecté assez d’énergie dans chacun de ces flux pour les projeter hors du puits gravitationnel de leur monde d’origine. Les langues de matière se trouvaient maintenant sur une trajectoire interplanétaire, suivant une élégante parabole entourant l’écliptique. Elles s’allongèrent jusqu’à ce qu’elles fassent des heures-lumière d’un bord à l’autre. Volyova extrapola les trois paraboles et s’aperçut qu’elles convergeaient vers le même point de l’espace, où elles devaient arriver exactement en même temps.

Il n’y avait rien à cet endroit, pour le moment. Mais, le temps qu’elles y arrivent, quelque chose y serait déjà : Roc, la plus grande géante gazeuse du système. Volyova était encline à penser que cette conjonction n’était pas une coïncidence.

— Voilà ce que je pense, dit-elle au capitaine. Ce que nous avons vu jusque-là n’était qu’une collecte de matière première. Ils l’ont acheminée vers l’endroit où le vrai travail est sur le point de commencer. Ils ont des projets pour Roc. Lesquels, je l’ignore. Mais ça fait partie de leur plan, c’est indéniable.

Ce qu’elle savait de la géante gazeuse fit irruption sur la sphère de projection. Un schéma montrait Roc ouvert en deux comme une pomme, révélant des strates concentriques annotées : un plongeon dans les profondeurs mystérieuses d’une chimie de folie et de pressions cauchemardesques. Des gaz à des températures et à des pressions quasi inimaginables entouraient un océan d’hydrogène liquide pur localisé à un pouce de la couche extérieure de la planète. En dessous – et cette seule pensée lui donnait une légère migraine – s’étendait un océan d’hydrogène métal. Volyova n’aimait pas les planètes, même dans le meilleur des cas, et les géantes gazeuses lui faisaient l’effet désagréable d’être un affront à tous les repères et à la fragilité humaine. De ce point de vue, elles étaient presque aussi mauvaises que les étoiles.

Mais Roc n’avait rien d’extraordinaire. Elle était de la famille de ces lunes banales, la plupart du temps glacées, et liées par l’effet de marée au monde autour duquel elles tournaient. À la surface des lunes plus chaudes, les ions bouillonnaient, formant une vaste ceinture toroïdale de plasma autour de la géante, dont la cohésion était assurée par une magnétosphère d’une sauvagerie inimaginable. Il n’y avait pas de grosses lunes rocheuses, ce qui expliquait probablement que les opérations de démantèlement initiales aient eu lieu ailleurs. Il y avait un système annulaire avec des schémas de résonance intéressants – tout en rayon de bicyclette et en drôles de petits noyaux –, mais encore une fois rien que Volyova n’ait déjà vu.

Que voulaient les Inhibiteurs ? Que se passerait-il quand leurs flux de matière atteindraient Roc ?

— Vous comprenez mes inquiétudes, capitaine. Je suis sûre que vous les comprenez. Quoi que mijotent ces machines, ça ne sent pas bon pour nous. Ce sont des engins d’extinction. Qui effacent toute vie pensante. La question est : pouvons-nous y faire quelque chose ?

Volyova s’interrompit pour réfléchir. Elle n’avait pas encore déclenché de retrait catatonique, et elle s’en félicitait. Le capitaine semblait au moins disposé à la laisser discuter des événements extérieurs. D’un autre côté, elle n’avait pas encore abordé les sujets qui provoquaient généralement son repli sur lui-même.

Eh bien, c’était maintenant ou jamais.

— Je pense que nous pouvons faire quelque chose, capitaine. Peut-être pas stopper les machines pour de bon, mais au moins leur mettre des bâtons – d’énormes bâtons – dans les roues.

Elle jeta un coup d’œil à son bloc-poignet. Rien d’inhabituel ne se produisait à aucun endroit du vaisseau.

— Je veux parler de frappe militaire, évidemment. Je pense qu’aucun argument raisonné ne convaincra une force capable de désagréger trois planètes sans demander la permission aux voisins.

Ah, enfin une réaction… se dit-elle. Une vibration lui parvenait depuis un endroit éloigné du vaisseau. Ça s’était déjà produit, et ça semblait vouloir dire quelque chose, mais quoi au juste ? Elle aurait été bien en peine de le dire. C’était certainement une manifestation de l’intelligence – quelle qu’elle soit – qui dirigeait le vaisseau, mais pas forcément du genre qu’elle aurait pu souhaiter. On aurait dit un signe d’irritation, comme le grognement sourd d’un chien agacé.

— Capitaine… je comprends que ce soit difficile. Je vous le jure. Mais nous devons agir, et vite. Un déploiement de la cache d’armes me paraîtrait être la seule option. Nous en avons encore trente-trois ; trente-neuf si nous parvenons à sauver et à réarmer les six que j’ai utilisées contre Hadès… Mais je pense que trente-trois devraient suffire si nous arrivions à les utiliser vite et bien.

Le grondement s’intensifia puis s’estompa. Elle avait vraiment touché la corde sensible, se dit-elle. Enfin, le capitaine écoutait toujours.

— L’arme que nous avons perdue à la limite du système était peut-être la plus puissante à notre disposition, poursuivit-elle. Mais les six que nous avons évacuées étaient, d’après mon estimation, à l’autre extrémité de l’éventail en termes de puissance de destruction. Je pense que nous pouvons nous en sortir, capitaine. Vous voulez que je vous expose mon plan ? Je propose que nous visions l’endroit des trois mondes d’où jaillissent les fleuves de matière. Quatre-vingt-dix pour cent de la masse extraite est encore en orbite autour des trois corps effondrés, bien qu’il en jaillisse toujours vers Roc. La plupart des machines inhibitrices sont encore autour de ces lunes. Il se peut qu’elles ne résistent pas à une attaque surprise et, même si elles survivent, nous pouvons disperser et contaminer ces réservoirs de matière.

Elle commença à parler plus vite, grisée par la façon dont le plan se déroulait dans son esprit.

— Il se peut que les machines soient capables de se regrouper, mais il faudra qu’elles trouvent de nouveaux mondes à désagréger. Nous pouvons les prendre de vitesse à ce niveau aussi. Nous pouvons utiliser les autres armes secrètes pour démanteler toutes les candidates probables que nous pourrons trouver ; empoisonner leurs puits ; les empêcher de poursuivre leur extraction minière. Ça leur compliquerait la tâche ; peut-être même que ça les empêcherait complètement de mener à bien leurs projets pour la géante gazeuse. Nous avons une chance, mais il y a une condition, capitaine. Pour ça, il faut que vous nous aidiez.

Elle regarda à nouveau le bracelet. Il ne s’était toujours rien passé, et elle s’autorisa à pousser mentalement un soupir de soulagement. Elle n’allait pas insister pour le moment. En évoquant son éventuelle coopération, elle était allée plus loin qu’elle ne pensait pouvoir le faire.

Et c’est alors que ça arriva ; la clameur lointaine, le rugissement d’un courant d’air furieux. Elle l’entendit hurler par-delà des kilomètres de couloir.

— Capitaine…

Trop tard. Le coup de vent balaya la sphère de commandement, la plaquant au sol par sa férocité. Elle lâcha son mégot de cigarette, qui fit plusieurs fois le tour de la salle, pris dans un tourbillon furieux qui emportait aussi des rats et divers objets arrachés au vaisseau.

Elle avait du mal à parler.

— Capitaine… Je ne voulais pas…

Le simple fait de respirer devint difficile. Une bourrasque la coucha à terre. Elle se débattit. Le bruit était assourdissant. C’était comme l’expression de toutes les années, toutes les décennies de souffrance que John Brannigan avait endurées.

Et puis la tempête s’apaisa, et le silence revint sur la passerelle. Le capitaine n’avait eu qu’à ouvrir une valve à pression dans l’une des chambres normalement sous vide, quelque part, dans les profondeurs du vaisseau. L’air ne s’était probablement pas échappé dans l’espace au cours de sa démonstration de force, mais l’effet avait été aussi impressionnant qu’une rupture de la coque.

Ilia Volyova se releva. Elle n’avait apparemment rien de cassé. Elle s’épousseta, alluma une cigarette en tremblant et tira dessus pendant deux bonnes minutes, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé son empire sur elle-même.

Puis elle se remit à parler, doucement, paisiblement, comme un parent s’adressant à un enfant qui vient de piquer une crise.

— Très bien, capitaine. J’ai compris. C’est très clair. Vous ne voulez pas parler des armes secrètes. C’est votre droit, et je ne peux pas dire que je sois vraiment étonnée. Mais comprenez bien ceci : il ne s’agit pas d’un petit problème local. Les Inhibiteurs ne sont pas seulement arrivés dans les parages de Delta Pavonis. Ils sont entrés dans l’espace humain ; ce n’est que le commencement. Ils ne s’arrêteront pas là, pas même après avoir effacé toute vie sur Resurgam pour la seconde fois en un million d’années. Ce ne sera qu’une mise en jambes. Après ça, ils passeront à la suite. Peut-être Sky’s Edge. Peut-être Shiva-Parvati. Peut-être Grand Teton, Spindrift, Zastruga – ou Yellowstone. Peut-être même le Premier Système. Quelle importance, de toute façon ? Dès que l’un de ces mondes aura disparu, les autres ne tarderont pas à suivre. Et ce sera la fin, capitaine. Ça prendra peut-être des dizaines, voire des centaines d’années ; peu importe. Ce sera la fin de tout, la négation définitive de toute action, de toute pensée humaine depuis l’aube des temps. Nous aurons disparu, effacés. Je vous garantis que ce sera une sacrée fusillade, même si l’issue n’est pas discutable. Mais vous savez quoi ? Nous ne serons plus là pour voir ça. Et cette idée me met plus en rogne que vous ne pouvez l’imaginer.

Elle tira une bouffée de sa cigarette. Les rats avaient disparu dans les ténèbres et les sécrétions, et le vaisseau était à nouveau presque normal. Il semblait lui avoir pardonné.

Elle poursuivit :

— Les machines ne se sont pas encore intéressées à nous. Mais, à mon avis, elles finiront bien par y venir. Et vous voulez que je vous dise pourquoi elles ne nous ont pas attaqués, jusqu’à maintenant ? Si ça se trouve, elles ne nous ont pas encore repérés ; les sens des Inhibiteurs sont focalisés sur les signes de vie à une bien plus grande échelle qu’un unique vaisseau. À moins qu’ils n’aient pas besoin de s’occuper de nous : à quoi bon prendre la peine de nous éliminer individuellement alors que ce qu’ils sont en train de fabriquer le fera tout aussi efficacement ? Voilà ce qu’ils doivent se dire, capitaine. À une bien plus grande échelle, plus lente, que celle à laquelle nous sommes accoutumés. Pourquoi prendre la peine d’écraser une mouche quand on s’apprête à éliminer toute cette engeance ? Et si nous voulons empêcher ça, nous devons essayer de penser un peu comme eux. Nous avons besoin des armes secrètes, capitaine.

La pièce frémit ; la sphère d’affichage et les lumières environnantes vacillèrent. Volyova regarda son bracelet et constata avec résignation que le vaisseau était sur le point de sombrer à nouveau dans la catatonie. Les droïdes cessaient de fonctionner à tous les niveaux, abandonnant toutes les tâches qui leur étaient confiées. Même certaines des pompes à mucus s’arrêtaient. Elle entendait le subtil changement de bruit de fond alors que les unités abandonnaient le chœur. Le réseau de coursives du vaisseau était plongé dans le noir. Les ascenseurs n’arrivaient plus systématiquement. Volyova allait en baver. Pendant des jours – des semaines, peut-être –, la survie à bord allait mobiliser toute son énergie.

— Capitaine… dit-elle doucement, doutant qu’il l’entende encore. Capitaine, il faut que vous compreniez : je ne m’en irai pas. Et eux non plus.

Debout toute seule dans les ténèbres, Volyova finit sa cigarette, dégaina sa torche, l’alluma et quitta la passerelle.

La Triumvira avait du pain sur la planche.

 

 

Remontoir était planté sur la peau adhésive de la comète de Skade et faisait de grands signes avec les bras à une navette en approche.

L’engin sembla hésiter et pointa le nez vers la surface sombre avec une méfiance évidente. C’était un petit vaisseau, à peine plus grand que la corvette qui les avait amenés là. La coque était boursouflée par des tourelles globuleuses qui tournaient dans tous les sens. Remontoir cligna des yeux alors que le rayon rouge d’un laser de visée passait sur lui, puis le rayon décrivit des arabesques sur le sol, à la recherche de pièges éventuels.

La voix du commandant de l’appareil se mit à bourdonner dans le casque de Remontoir :

— Vous avez dit que vous étiez deux. Je ne vois qu’une personne.

— Skade a été blessée. Elle est dans la comète. Le Maître d’Œuvre s’occupe d’elle à l’intérieur. Pourquoi utilisez-vous le langage vocal ?

— Vous pourriez être un piège.

— Je suis Remontoir, voyons. Vous ne me reconnaissez pas ?

— Attendez. Tournez-vous un peu vers la gauche, que je voie votre visage à travers la visière.

Le vaisseau le scruta un moment. Puis il se rapprocha et lança ses grappins, qui s’enfoncèrent profondément dans le sol à l’endroit où les trois amarres rompues étaient encore ancrées. Remontoir sentit les impacts à travers la membrane, l’époxy renforçant son emprise sur ses semelles.

Il essaya d’établir la communication neurale avec le pilote.

Alors, vous me croyez, maintenant ? Vous voyez bien que je suis Remontoir.

Un sas s’ouvrit à l’avant du vaisseau. Un Conjoineur apparut, en armure de combat. Il se laissa glisser vers la surface de la comète et se posa à deux mètres de Remontoir, un fusil braqué sur lui. Les armes du vaisseau étaient également pointées dans sa direction. Il sentait leur balayage à large spectre. Un faux mouvement et les armes le réduiraient en cendres.

Le Conjoineur se connecta neuralement avec lui.

[Que faites-vous ici ? Qui est le Maître d’Œuvre ?]

Je ne peux malheureusement rien vous dire, sinon que je suis en mission pour le Conseil Restreint, pour une affaire concernant la sécurité des Conjoineurs. Cette comète nous appartient, comme vous l’avez compris.

[D’après votre message de détresse, vous seriez arrivés ici à trois. Où est le vaisseau qui vous a amenés ?]

C’est là que ça devient un peu compliqué.

Remontoir essaya de s’insinuer dans la tête de l’homme – ç’aurait été tellement plus facile s’il avait pu lui transférer directement ses souvenirs, mais les blocages neuraux de l’autre Conjoineur paraissaient inviolables.

[Contentez-vous de me le raconter.]

Nous étions avec Clavain. Il est parti avec notre corvette.

[Et pourquoi aurait-il fait une chose pareille ?]

Je ne peux pas vous le dire, hélas. Pas sans révéler la nature de cette comète.

[Laissez-moi deviner. Encore une affaire du Conseil Restreint ?]

Vous savez comment c’est.

[Où est-il allé avec la corvette ?]

Remontoir eut un sourire ; à quoi bon essayer de jouer au plus fin ?

Probablement vers l’intérieur du système. Où voulez-vous qu’il aille ? Il ne retournera pas au Nid Maternel.

[Quand cela s’est-il passé, au juste ?]

Il y a plus de trente heures.

[Il ne lui en faudra pas trois cents pour atteindre Yellowstone. Vous n’auriez pas pu nous alerter plus tôt ?]

J’ai fait de mon mieux. Nous avions une sorte d’urgence médicale à régler. Et j’ai mis un moment à convaincre le Maître d’Œuvre de me laisser envoyer un signal au Nid Maternel.

[Une urgence médicale ?]

Remontoir fit un geste vers la surface balafrée, saccagée, de la comète, et le trou en forme d’impact de balle par où entrait et sortait le Maître d’Œuvre.

Skade a été blessée, je vous dis. Il faut la ramener de toute urgence au Nid Maternel.

Remontoir s’avança lentement, prudemment, en regardant bien où il mettait les pieds. Les canons montés sur le vaisseau le suivaient, prêts à le changer en cratère miniature au moindre geste suspect.

[Elle est encore en vie ?]

Remontoir secoua la tête.

Pas pour le moment, non.

L'Arche de la rédemption
titlepage.xhtml
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-3]L'Arche de la redemption(2002).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html